COLLOQUE
RÉSEAU(X) ET TERRITOIRES
Le ferroviaire au coeur des mobilités régionales et métropolitaines
En savoir plusProfesseur de sociologie urbaine et d’analyse des mobilités à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Vincent Kaufmann, est aussi directeur scientifique du « Forum Vies Mobiles », institut de recherche et d’échanges sur les mobilités soutenu par la SNCF. Il revient sur les enjeux et les évolutions de la mobilité métropolitaine.
Avant d’en venir aux transports métropolitains et à leur organisation, une question toute simple : qu’est-ce qui fait qu’une ville est considérée comme une métropole ?
Vincent Kaufmann : Une métropole, c’est une ville à fort rayonnement, rassemblant souvent plus d’un million d’habitants. Voilà pour l’acception communément admise. Si l’on veut une définition plus précise, je me référerais à celle qu’en donne l’urbaniste François Ascher. Il définit les métropoles comme étant la conséquence urbaine des phénomènes de mondialisation, soit en particulier le passage d’une économie industrielle à une économie des connaissances. François Ascher préfère d’ailleurs le mot de métapoles à celui de métropoles, sans doute un peu galvaudé. Par ailleurs, pour lui, ce qui est caractéristique, c’est que la métropolisation se construit avec des infrastructures de transport qui l’atteignent : autoroutes, TGV, etc.
Au sein de ces métropoles, quelle évolution notable en matière de transports a-t-on connue ces dernières décennies ?
Vincent Kaufmann : Je vais prendre les chiffres de la Suisse, mais ceux de la France sont peu ou prou les mêmes. Les mobilités métropolitaines ont énormément évolué. Le taux de travailleurs pendulaires, c’est-à-dire ceux dont les zones d’habitation et d’emploi sont clairement dissociées, et qui doivent donc emprunter les transports, était de 31 % en 1970. En 2000, il était passé à 53 % puis à 66 % en 2010, un chiffre qui a probablement encore augmenté depuis. Sachant que 10 % des actifs font aujourd’hui 50 kilomètres de trajet ou plus pour aller travailler.
Pour ces déplacements, toujours plus nombreux, emprunte-t-on davantage la voiture ?
Vincent Kaufmann : Non, on observe plutôt une croissance d’autres transports, et du train en particulier. Chacun connait aujourd’hui les défis auxquels nous devons faire face, liés au changement climatique notamment, à l’épuisement des ressources. Il nous faut repenser la mobilité, qui a été trop corrélée aux infrastructures routières jusqu’ici. Le ferroviaire est la colonne vertébrale autour de laquelle vont s’organiser les mobilités de demain. Le train est d’ailleurs de plus en plus utilisé comme un transport urbain, y compris entre deux agglomérations, et souvent au détriment de la voiture. Car il présente l’énorme avantage d’optimiser son temps de trajet, pour peu que l’on dispose d’une place assise. On constate dans de nombreuses recherches que notre rapport au temps de déplacement a changé.
À quoi est-ce dû ?
Vincent Kaufmann : Aux objets connectés ! Aux smartphones et ordinateurs portables notamment. Car en les utilisant, on s’occupe, le trajet paraît donc moins long, ce qui n’est évidemment pas le cas en voiture. Grâce à ces objets, la valeur du temps évolue. C’est une généralité, bien sûr, mais la plupart des voyageurs sont plus en recherche de confort que de rapidité, même s’ils apprécient évidemment que les deux soient réunis. À condition qu’ils se fassent de manière confortable, les déplacements ne sont plus vus comme une perte de temps, c’est là vraiment un élément central qui explique la mutation de la pendularité. Mais ce n’est évidemment pas le seul...
Quels sont les autres ?
Vincent Kaufmann : D’abord, la qualité de l’offre de transport en commun. Là où des investissements massifs ont été consentis, les réseaux améliorés, les dessertes ajoutées, les transports en commun ont gagné du terrain, et le train notamment. Mais il y a aussi l’aménagement urbain et le vélo. Je pense qu’on peut associer ces deux éléments. Il y a une vingtaine d’années, le vélo était considéré avant tout comme un loisir. Aujourd’hui, c’est un moyen de transport à part entière qui est utilisé par la population comme tel pour faire de l’exercice physique… ça c’est aussi quelque chose qui a changé, l’idée que la mobilité fait désormais partie des logiques d’actions de la population. On se dit que si dans les déplacements quotidiens, on peut aussi faire de l’exercice physique, c’est une très bonne chose. C’est quelque part « d’une pierre deux coups », cela donne une autre fonction à ces déplacements. Le vélo s’est considérablement développé, de même que la marche. Dans bien des villes, beaucoup d’aménagements ont été faits pour les piétons afin de rendre les cheminements plus ergonomiques.
Quel réseau métropolitain vous semble être en phase avec cette nouvelle donne ?
Vincent Kaufmann : Le réseau S Bahn de Hambourg est un bon exemple. C’est un maillon essentiel du système de transport de cette métropole et c’est l’un des plus grands d’Allemagne. Il a pour caractéristique d’avoir des lignes transversales, qui passent toutes par la gare centrale. Mais qui ne s’y arrêtent pas plus de deux minutes. C’est-à-dire qu’elles la traversent rapidement et offrent une couverture spatiale et temporelle très performante. On va jusqu’à 40 kilomètres du centre, en une heure ou un peu plus. C’est un réseau qui a évolué et continue de le faire pour capter au mieux les demandes de transport.
En France, dans quel sens pourraient travailler ceux qui conçoivent des réseaux métropolitains ?
Vincent Kaufmann : La France dispose d’excellents réseaux urbains et d’un réseau longue distance à grande vitesse modèle. Ce qui manque, à mon sens, c’est l’entre-deux. C’est ce qui explique que, dans beaucoup d’agglomérations, l’utilisation du train soit encore trop faible. En desservant des localités jusqu’à une heure du centre de la métropole, on élargit la dynamique métropolitaine. En matière de transports urbains, c’est l’offre qui crée la demande, et pas le contraire. Ce qui est important, aussi, c’est de prendre la mesure des déplacements occasionnels, c’est-à-dire de ne pas se focaliser sur les trajets entre le domicile et le travail seulement, car un transport métropolitain doit être utile plus largement.
Aujourd’hui, quels sont pour vous les principaux enjeux dans la réflexion sur le transport urbain en France ?
Vincent Kaufmann : Pour moi, il y a cinq enjeux majeurs : d’abord, les péages. À l’heure actuelle, il me paraît problématique que les régions aient à payer des frais de péages importants, alors même qu’elles paient pour la maintenance du réseau. Deuxième enjeu, je crois qu’il faut réconcilier la logique des territoires avec la logique de réseau, c’est-à-dire qu’il faut sortir du cadre territorial donné pour voir au-delà. Se pose, troisièmement, la question de la tarification intégrée, donc la possibilité de passer d’un transport à un autre avec un seul ticket. C’est un aspect central, mais un sacré enjeu car cela veut dire que les acteurs se font confiance, sur la redistribution financière notamment. Enfin il ne faut pas perdre de vue le fait que l’accessibilité soit aussi temporelle, pas seulement spatiale. Il faut prendre en compte la diversification des demandes, beaucoup moins concentrées sur les heures de pointe. Les usagers ont des pratiques de mobilités très différentes d’un jour à l’autre, et n’utilisent que rarement les transports qu’aux heures de pointe. Enfin, il y a une réflexion à mener sur la manière d’articuler les régions urbaines et leurs systèmes de transports publics, ferroviaires en particulier, non seulement en matière d’habitat mais aussi d’activités. C’est donc une réflexion globale, pragmatique qui est à mener, et qui dépasse largement le cadre des seuls transports.
Auteur de nombreux travaux sur l’étude de la mobilité et de ses liens avec la transformation des sociétés contemporaines et de leurs territoires, Vincent Kaufmann a notamment publié Retour sur la ville et La mobilité en questions, aux éditions PPUR. Le sociologue suisse est l’inventeur du concept de « motilité », importé de la biologie, et qui désigne l’aptitude à se mouvoir.
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